<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La nouvelle donne au Caucase

7 janvier 2021

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : Habitant du Haut-Karabakh découvrant sa maison en ruines, après l'armistice du 10 novembre. (c) Sipa 00993441_000001
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La nouvelle donne au Caucase

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La guerre de quarante-quatre jours (27 septembre-10 novembre, 5 000 morts) dans le Haut-Karabakh a rebattu les cartes dans le Caucase. Elle a d’abord confirmé la déroute complète des Arméniens et la victoire sans appel des Azerbaïdjanais. L’Arménie perd les territoires conquis en 1994. Elle renonce, pour un temps, à contrôler cette « province » liée aux racines de son identité. L’Azerbaïdjan récupère 80 % du Karabakh. Pour la Turquie aussi, cette nouvelle poussée à l’extérieur de ses frontières est un succès, malgré le retour au premier plan de la Russie qui conforte son rôle d’arbitre.

 

Dès le début du conflit, les Arméniens ont perdu l’initiative. Mal renseigné, en infériorité numérique et technologique, le Karabakh a tenté de résister. L’héroïsme n’a pas suffi. La balance des potentiels était largement en faveur de Bakou. Après sa défaite de 1994, l’Azerbaïdjan avait reconstitué son armée en achetant des armes modernes à la Turquie, à la Russie et à Israël, grâce aux milliards de dollars tirés de ses hydrocarbures. Cette reconquête avait été annoncée par le président autocrate Ilham Aleyev, au pouvoir depuis 2003. Il en avait fait « une grande cause nationale », avec le soutien de son peuple et l’appui de la Turquie, décisif : des spécialistes turcs ont armé des drones, redoutables, et quelques milliers de combattants djihadistes envoyés par Ankara sont venus en renfort.

De son côté, l’Arménie avait négligé son armée, dotée d’armes achetées au rabais. Les Arméniens se sont endormis, bercés par les chants à la gloire de héros des années 1990-1994. Ils ont cru au soutien de Moscou, par le biais de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) les liant à la Russie. Ce traité prévoit en effet la défense de chacun des membres de l’OTSC par les autres, mais seulement en cas d’intervention militaire étrangère. Dès le début de la crise, Vladimir Poutine avait pourtant été clair : la Russie n’interviendrait qu’en cas d’invasion du territoire arménien – ce que Bakou s’est bien gardé de faire. En Arménie, le réveil a été brutal, comme le montrent les incidents à Erevan lors de l’annonce du cessez-le-feu, signé dans la nuit du 9 au 10 novembre. Nikol Pachinian, le Premier ministre arménien, n’avait plus le choix. S’il n’avait pas signé, l’Arménie aurait perdu la totalité du Karabakh.

À Bakou, on justifie cette reconquête brutale par le droit international qui sanctuarise l’inviolabilité des frontières. Aux yeux de l’ONU, le Karabakh appartient bien à l’Azerbaïdjan (au moins depuis 1921, année où l’enclave lui a été cédée par le pouvoir soviétique). Pour l’ONU, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes n’existe pas. La volonté d’autonomie de la majorité arménienne du Karabakh n’a jamais été prise en considération.

Parrain de l’accord, Poutine a maîtrisé le tempo politique et militaire de bout en bout, en jouant sur son alliance historique avec Erevan et son partenariat avec Bakou, gros client de l’armement russe. Il a affaibli l’Arménie, sans pour autant laisser carte blanche à l’Azerbaïdjan. Cette realpolitik l’a conduit à attendre le meilleur moment pour décider la fin de la guerre. Déjà présente en Arménie avec un corps de 4 000 soldats, la Russie déploie maintenant une nouvelle mission de 2 000 militaires. Ils contrôleront deux corridors stratégiques : le premier entre l’Arménie au Haut-Karabakh ; le second relie le Nakhitchevan, un territoire azéri enclavé dans l’Arménie, à l’Azerbaïdjan. Moscou renforce ainsi son empreinte militaire au centre du Caucase, à la croisée des oléoducs et gazoducs de la Caspienne.

Erdogan avait pris des risques calculés, liés à la paralysie momentanée des États-Unis. Hormis le nouveau coup porté aux « résidus du sabre » (son expression pour désigner les Arméniens rescapés du génocide…) et un nouveau succès de sa stratégie d’influence, son gain est réduit. Le nouveau corridor permet aux Turcs de se connecter aux pays turcophones d’Asie centrale, mais tout reste sous contrôle russe. Erdogan n’aura pas les coudées aussi franches que l’assure sa propagande. Après la Syrie, un nouveau face-à-face russo-turc s’installe au Caucase, dans une quête quasi symétrique d’influence politique, de présence économique et de leadership stratégique. L’avenir est belligène. Reste à savoir si Moscou et Ankara trouveront le modus vivendi pour éviter un affrontement direct.

À propos de l’auteur
Frédéric Pons

Frédéric Pons

Journaliste, professeur à l'ESM Saint-Cyr et conférencier.
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