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Que changerait une reconnaissance par la France de la république du Haut-Karabakh ?

Des Arméniens de France manifestent en octobre 2020 place du Trocadéro, pour une reconnaissance et un soutien de la France à la république du Haut-Karabakh.
Des Arméniens de France manifestent en octobre 2020 place du Trocadéro, pour une reconnaissance et un soutien de la France à la république du Haut-Karabakh. Le Figaro

Saluée par la communauté arménienne, la résolution du Sénat demandant la reconnaissance de la république du Haut-Karabakh s'est confrontée à la réticence de l’exécutif, qui craint de «perdre toute capacité d'influence» dans la résolution du conflit arménien.

«La décision prise par le Sénat français est historique. La reconnaissance internationale de l’Artsakh entre dans l’agenda international». Ce message, posté sur Facebook par le premier ministre Nikol Pashiniana, en dit long sur l’espoir que la communauté arménienne a mis en la reconnaissance de l’indépendance du Haut-Karabakh, ou République d'Artsakh, par la France. Cette résolution, votée à la quasi-unanimité par la chambre haute, s'est pourtant heurtée à un accueil très froid du gouvernement français. «La solution au conflit du Haut-Karabakh ne viendra pas d'un geste unilatéral, fût-il français, mais du dialogue entre les parties», a rétorqué Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, aux sénateurs. «Soyons clairs : la reconnaissance unilatérale par la France de l'indépendance du Haut-Karabakh ne serait aujourd'hui à l'avantage de personne, ni de l'Arménie, ni des habitants du Haut-Karabakh, ni de la France.»

Outre le Sénat, ce sont également l'Assemblée nationale, des partis politiques et des collectivités locales, ou encore des universitaires qui ont plaidé pour une reconnaissance de la région enclavée, exprimant leur soutien au peuple arménien. Parmi tous les États membres de l’ONU, la France serait, dans cette hypothèse, la première à reconnaître le Haut-Karabakh comme état indépendant. Mais une telle déclaration changerait-elle réellement la donne dans le conflit opposant l'Azerbaïdjan et l'Arménie ? Aurait-elle un effet sur le sort de la région, revenue désormais sous contrôle de Bakou ?

Le statut d'Etat, une valeur «protectrice»

«Cette reconnaissance est notre dernière arme contre l'expansionnisme de l’Azerbaïdjan. Que nous reste-t-il d’autre ?». Ara Toranian, coprésident du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France (CCAF), n’est pas dupe sur l'efficacité limitée d'une déclaration unilatérale. Mais cette indépendance, la communauté arménienne de France la réclame depuis plusieurs années déjà. Aujourd'hui, elle serait peut-être la dernière carte à jouer. «Le statut d’État a une valeur protectrice certaine qui contribuerait à protéger l’Artsakh des agressions extérieures», abonde Gérard Guerguerian, ancien avocat au barreau de Paris et Membre de l’Observatoire Arménien. «Plus encore, cela donnerait au conflit une portée qui transcende la stricte guerre civile et dépasserait la simple approche humanitaire adoptée par la communauté internationale, pour favoriser une solution diplomatique et pacifique, d'État à État».

Aussi injuste et discutable qu'elle puisse paraître, certains prétendent que l'offensive de l'Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh n'a pourtant pas enfreint le droit international. L'Etat azéri a repris, certes de manière agressive mais non illicite, des territoires occupées en 1994 par l'Artsakh au-delà de ses frontières de Région Autonome, et dont la qualification de territoires occupées était maintenue par le Groupe de Minsk. Pour autant, les accords de cessez le feu de 1994 et l'obligation internationale de négocier pacifiquement le conflit ont été manifestement violés par l'Azerbaïdjan. « Du côté du Haut-Karabakh, ce n'est pas faute d'avoir maintes fois réclamé son droit à l'autodétermination et des conditions de règlement pacifique», rappelle Gérard Guerguerian. «Mais depuis la chute de l'Union soviétique, l'Azerbaïdjan a toujours fait la sourde oreille, entretenant volontairement le statu quo jusqu'à réunir les forces et les alliances nécessaires pour reconquérir la région».

«La France risque de s'isoler elle-même»

«Un acte politique fort», un symbole «d'amitié et de solidarité» envers le peuple arménien, s'est ainsi félicité Christian Cambon (LR), président de la commission des Affaires étrangères au Sénat. Une proposition «contraire au réalisme», a rétorqué Alain Richard, sénateur du groupe RDPI à majorité LaREM, qui s'est abstenu lors du vote. «La France subit la pression d'une forte communauté arménienne très désireuse de soutenir son peuple. Mais elle doit être consciente des conséquences sur le plan international», alerte-t-il. «Par cette reconnaissance, notre pays risque fort de s'isoler lui-même».

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Pourquoi la France reconnaîtrait-elle une entité qu’aucun autre État, pas même l’Arménie, n’a encore reconnue ? C’est l’objection avancée par Didier Billion, spécialiste de la Turquie et du Moyen-Orient à l’IRIS, qui dénonce une initiative «contre-productive». «La France veut bien faire, mais elle s'y prend de la pire manière», dénonce-t-il. «Si notre pays a un rôle à tenir dans ce conflit, c'est en tant que médiateur, en entretenant un dialogue avec Ankara et Bakou».

Acte diplomatique fort, une telle reconnaissance entraînerait de facto un changement de paradigme pour l'Hexagone, qui a jusqu'à présent tenu à conserver une position de neutralité. «Les conséquences pourraient aller jusqu'à une rupture diplomatique totale avec Bakou et Ankara, ce qui nous enlèverait toute voix au chapitre», explique Didier Billion. Suite au vote de Sénat, le Parlement turc avait qualifié un souhait «ridicule, partial et déconnecté de la réalité». De son côté, le Parlement d'Azerbaïdjan a appelé à exclure la France du groupe de Minsk, chargé de la médiation dans le conflit.

Un argument qui laisse froide la communauté arménienne en France. «Le gouvernement prétend que cela entraverait son champ d’action; mais le groupe de Minsk n'a rien fait depuis octobre, alors, qu’est-ce que cela pourrait bien entraver ? On se le demande», rétorque Ara Toranian.

Former un front commun contre l'expansionnisme turc

Malgré la forte réaction du front azéri, la reconnaissance d'un État par un autre, acte unilatéral et déclaratoire, n'a en réalité que peu d'effets s'il n'est suivi par la communauté internationale. Un point sur lequel Didier Billion ne cache pas son pessimisme. «Quels pays pourraient donc suivre la France ? Probablement pas ceux qui ont réellement voix au chapitre, à savoir le groupe de Minsk. D'un côté, les États-Unis ont l’esprit ailleurs, sortant juste d'une période électorale mouvementée; ils ne se sont d'ailleurs jamais réellement intéressés au Caucase. Quant à la Russie, elle n’a absolument rien à gagner à une reconnaissance de souveraineté, ayant déjà largement tiré son épingle du jeu». Signé le 9 novembre dernier sous l'égide de Moscou, un traité de paix entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie prévoit la présence de 2000 soldats de maintien de la paix russes, pour une durée de cinq ans renouvelables.

«C’est voir le verre à moitié vide», rétorque Gérard Guerguerian, plus confiant. «Les États ne peuvent rester insensibles à l'injustice de voir 20.000 soldats arméniens se battre contre une armée de mercenaires et de djihadistes venus de Syrie, armés par la Turquie. Alors qu’Ankara pousse ses pions en Libye et en Méditerranée orientale, beaucoup d’autres États, inquiets face à l'expansionnisme turc, pourraient se rallier à la France selon le juriste.

« Au fond, il est illusoire de croire, compte tenu des exactions commises - décapitations, humiliations, utilisations d'armes interdites - à l'idée d'une coexistence pacifique», conclut Gérard Guerguerian. «Seul un statut international garanti permettrait le retour de la confiance, et éviterait l'inexorable déplacement en masse de réfugiés arméniens. »

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173 commentaires
  • argel75

    le

    La seule question qui vaille est : La politique extérieure de la France doit-elle être dictée par le communautarisme ? De Gaulle avait répondu non.

  • aditec

    le

    @ YAKUP TOOKY "Rendons à César ce qui appartient à César." Alors vous préconisez la loi du plus apte? César est un exemple de conquête sans scrupules et impitoyable. Je me souviens de la guerre des Gaules. Pendant ce temps, une grande partie de la population locale a été massacrée par les Romains. Selon les critères d'aujourd'hui, on parlerait de génocide. Les États dirigés par des musulmans prouvent chaque jour qu'ils oppriment et massacrent ceux de confessions différentes. C'est pourquoi on ne peut pas attendre des Arméniens chrétiens qu'ils vivent sous la domination musulmane. Vous en avez déjà eu des expériences douloureuses. Je pense que la population d'un territoire doit décider seule de son sort. Je rejette les revendications territoriales douteuses et les mouvements politiques de pouvoir. Chanson palestinienne - Chanson des croisés allemands
    https://www.youtube.com/watch?v=rE05Q1w_SKE

  • kpacha

    le

    La minorité arménienne placée sous administration azerbaïdjanaise a été soumise de façon répétée à des massacres organisées par les Azeris:
    À Soumgaït du 25 au 27 février 1988
    À Kirovabad le 23 novembre 1988
    À Bakou du 12 au 19 janvier 1990
    À Maragha le 10 avril 1992
    L’Azerbaïdjan (comme la Turquie en 1915) non seulement ne protège pas la minorité chrétienne, mais cherche à l’exterminer !

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