« Bombarder aveuglément des civils, des églises, les monuments historiques d’un peuple malgré toutes les lois internationales, qu’est-ce donc sinon un génocide ? », déclare le patriarche de l’Église apostolique arménienne, Karékin II, dans une interview, publiée lundi 19 octobre par le quotidien italien La Repubblica, à propos du conflit qui a repris depuis le 27 septembre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan dans la région contestée du Haut-Karabakh.

« Les Azéris sont prêts à expulser tous les Arméniens du Haut-Karabakh et à effacer toutes les traces historiques », affirme encore le patriarche suprême des Arméniens apostoliques. « Derrière cette opération, qui rappelle le génocide de notre peuple par l’Empire ottoman, il y a une fois de plus la main d’Ankara », poursuit-il depuis Etchmiadzine, le siège de l’Église apostolique arménienne, près d’Erevan. Selon le catholicos, « ce n’est qu’en reconnaissant l’indépendance autoproclamée du territoire contesté que l’on pourra éviter un éventuel nouvel holocauste ».

Cette allusion par Karékin II au génocide de 1915, au cours duquel 1,5 million d’Arméniens furent tués par la Turquie ottomane, ne surprend pas l’historien Philippe Sukiasyan, diacre de l’Église apostolique arménienne à Paris. « Tous les Arméniens, y compris en diaspora, ont le sentiment que la Turquie, en soutenant l’Azerbaïdjan, est entrée en guerre pour exterminer l’État arménien », explique-t-il. Il rappelle que le président Erdogan a employé à plusieurs reprises l’expression « Terminer le travail entrepris par nos aïeux ».

« Quand le verrou arménien aura sauté »

« Une fois que le verrou arménien aura sauté, plus rien ne s’opposera au panturquisme », poursuit Philippe Sukiasyan, soulignant que l’Arménie reste le principal obstacle géographique au projet de Recep Tayyip Erdogan d’unifier tous les peuples turcophones « depuis le Bosphore jusqu’à la muraille de Chine ».

Dans cet entretien à La Repubblica, Karékin II précise également que l’Église apostolique arménienne a « mis de côté un demi-million de dollars » (422 000 €) pour venir en aide aux Arméniens du Haut-Karabakh, et « a demandé à tous les diocèses arméniens à travers le monde de lancer des collectes de fonds ». Il leur a demandé également d’organiser un temps de prière « tous les jours à midi dans toutes les églises pour demander la victoire de l’Arménie et la paix ».

Quelques jours auparavant, vendredi 16 octobre, tandis que le catholicos participait à une séance extraordinaire du Conseil national de sécurité présidée par le premier ministre arménien, l’évêque du diocèse de Tavush (au nord-est de l’Arménie), Mgr Bagrat Galstanyan, partait pour le front, « avec la bénédiction de Sa Sainteté le catholicos ». « Je pars en première ligne avec mes frères dans la foi, avec nos soldats et leurs officiers pour une mission très particulière », a-t-il affirmé au quotidien arménien Aravot.

« La ligne de front de l’Artsakh »

« Par ses sentiments et sa mobilisation, notre peuple a les yeux rivés sur la ligne de front de l’Artsakh (autre nom de la république du Haut-Karabakh) où se décide notre droit à exister en tant que nation », a estimé Mgr Galstanyan, en appelant « chaque Arménien qui se déclare héritier de notre identité, de nos valeurs et de notre histoire » à s’engager « dans cette lutte sacrée qui est aujourd’hui la nôtre ».

Là encore, de tels propos de la part d’un évêque ne surprennent pas Philippe Sukiasyan : « Les armes de cet évêque sont d’abord spirituelles mais, en cas de nécessité, peut-être pourrait-il combattre. » En revanche, le diacre arménien se dit « choqué » par le manque d’échos que le conflit du Haut-Karabakh trouve en Occident. « Pourquoi l’Otan n’agit-il pas plus contre la Turquie ? On est devant un nouveau Munich : si on cède, on n’aura pas la paix mais la guerre. »