Arthur Chevallier – L’Arménie, symbole de la malhonnêteté de l’Europe

Dans un texte salutaire, Valérie Toranian rappelle l’Occident, si silencieux face à la tragédie au Haut-Karabakh, aux devoirs qu’il s’est lui-même assignés.

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L’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie, envahit en septembre 2020 le Haut-Karabakh.
L’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie, envahit en septembre 2020 le Haut-Karabakh. © ANTONI LALLICAN / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Temps de lecture : 4 min

L’Europe a raison d’être prétentieuse. Si elle ne détient pas le monopole de la civilisation, elle fonde sa puissance sur une juste conscience de sa civilité. En quoi elle révèle une influence supérieure de la France sur l’Allemagne. Cela étant, depuis vingt ans, l’impérialisme russe retrouvé, le reflux américain avéré et l’explosion du Proche-Orient démontrent la précarité de son rang. L’Union européenne, même imparfaite, n’est pas une mauvaise idée, c’est même peut-être la seule capable de contenir la disparition de nations dépassées par le regain d’énergie de pays décidés à ne plus être infantilisés.

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Les idées, soit les convictions, de l’Europe sont ses seuls bien non périssables. Voilà pourquoi elle ne doit pas faire « moins » de droits de l’homme, mais plus, toujours plus, jusqu’à la déraison, jusqu’au cynisme, quitte à ce que cela devienne la justification d’interventions dans les affaires du monde. Pour autant, et c’est le terme de sa logique, elle devrait se montrer intraitable envers qui y porte atteinte, être l’ultime bouclier contre la barbarie. Il y va de la poursuite de son empire, ou de sa disparition, faute de justification de son existence.

« Star Wars » contre Verdun

L’Arménie est l’évident symbole de la malhonnêteté de l’Europe. Dans un texte salutaire, précis et courageux, paru dans la nouvelle collection Placards et libelles des Éditions du Cerf, Valérie Toranian rappelle l’Occident aux devoirs qu’elle s’est elle-même assignés. Depuis plus d’un an se joue la répétition morbide du génocide de 1915. L’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie, envahit en septembre 2020 le Haut-Karabakh. À la tête de l’armée, des chevaliers dignes de leur suzerain Erdogan, une piétaille de caniveau, des mercenaires djihadistes syriens, irakiens et pakistanais. En comparaison de la puissance de la Turquie, deuxième armée de l’Otan, les forces arméniennes sont dérisoires. « Star Wars contre Verdun », écrit Toranian. Plus de quatre mille morts arméniens, un cessez-le-feu administré par la Russie et une invasion de l’Arménie plus tard, le Quai d’Orsay se déclare « neutre », quand l’Europe renvoie chacune des parties à leurs responsabilités. « Comme si on avait renvoyé dos à dos la Pologne et Hitler en 1939. »

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Les débats relatifs à la légitimité sur le Haut-Karabakh sont d’une malhonnêteté confondante au regard du droit, d’une part, mais aussi de l’histoire. Du reste, il suffit de s’en remettre à l’Encyclopédie de l’islam (1975) pour constater que le Haut-Karabakh est « composé en majorité d’Arméniens, avec quelques Turcs azéris et chiites ». La guerre froide a empêché la Turquie d’accomplir son projet d’extermination des Arméniens, laquelle précéderait bien entendu l’annexion de leur territoire afin de constituer l’empire dont Erdogan rêve aujourd’hui. À la démission des agences de l’ONU, lesquelles opposent une passivité incompréhensible au regard de leur objet, s’ajoute la cupidité. L’envoyé du Comité des droits de l’homme du Conseil de l’Europe, l’Autrichien Eduard Lintner, surveille entre 2005 et 2013 les élections en Azerbaïdjan qu’il juge « aux normes » : dix-neuf virements azéris de 891 000 euros ; banni à vie du Conseil en 2018. L’Italien Luca Volontè, président du groupe PPE au Parlement européen entre 2010 et 2013, accusé d’avoir reçu plus d’un million et demi d’euros pour enterrer un rapport sur les prisonniers politiques en Azerbaïdjan. Quant à la France, les candidats à une nouvelle adaptation du Tartuffe ne manquent jamais, à commencer par les membres, dont certains députés qui prétendent défendre les chrétiens d’Orient, de l’AAA, l’Association des amis de l’Azerbaïdjan, institution dont on perçoit immédiatement la noblesse et le panache.

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La domination est à la mode. Ou plutôt les dominés, « les victimes », écrit Valérie Toranian. Dominées par les hommes blancs, l’histoire, la morale et même la vie devraient être relues d’après la souffrance. Sans doute, et pourquoi pas ? C’est un fait incontestable qu’une des missions de la culture est de protéger ce – et ceux – que la nature a rendu vulnérable. Pour autant, cette rhétorique tient à condition d’être appliquée sans distinction. Pourquoi se préoccuper d’Arméniens exterminés ? Non parce qu’ils sont chrétiens, comme le laisse penser l’extrême droite, mais parce qu’ils sont nos frères en humanité. D’autant plus qu’ils sont les victimes d’une Turquie dont l’impérialisme meurtrier est un défi non seulement à l’Europe et à son influence, mais à son éthique. Laquelle, pour être crédible, doit être totale, c’est-à-dire impitoyable. Il n’y a d’universalisme qu’universel, sans quoi le principe disparaît au profit du prétexte.

Référence livre

Valérie Toranian, L’Arménie, du sang sur nos mains, Paris, Cerf, 2021.

*Arthur Chevallier est éditeur chez Passés composés. Son dernier livre, « Napoléon et le bonapartisme », est paru aux éditions Que sais-je ?. Il est commissaire de l’exposition « Napoléon » à la Grande Halle de la Villette.

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Commentaires (6)

  • ANTACHOD

    D’être français, comment Macron a-t-il pu laissé faire ça ?

  • Râleur & fainéant

    Qui c'est le chef ? Réponse "Her Dogan" le Raïs et tout le monde plie à commencer par nos voisins de l'Est mais pas seulement...
    Ceci dit les conflits en cours et à venir sont bien au Sud et à l'Est, que dire l'Europe en est responsable ou bien l'Occident tout entier ?
    cdt.

  • Mimile

    Et cela vous étonne ?
    Parlons des Royingas, des chrétiens d'orient et bientôt, comme cela a été, des Juifs et des Israéliens !