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Archéologie

Unesco : "Le trafic illicite des biens culturels est un fléau mondial"

ARCHIVE. Le 14 novembre marque la journée contre le "trafic illicite des biens culturels", organisé par l'Unesco en partenariat avec l'Union européenne. En 2021, le directeur du programme Culture et situations d’urgence de l’Unesco Lazare Eloundou-Assomo avait répondu aux questions de Sciences et Avenir.

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Le 23 septembre 2021, l'UNESCO a salué la restitution à l'Irak par les Etats-Unis, d'un joyau du patrimoine mondial, la "tablette de Gilgamesh" vieille de 3500 ans. Elle avait été pillée en Irak dans les années 1990.

Le 23 septembre 2021, l'Unesco a salué la restitution à l'Irak par les Etats-Unis, d'un joyau du patrimoine mondial, la "tablette de Gilgamesh" vieille de 3500 ans. Elle avait été pillée en Irak dans les années 1990.

Crédits: UNESCO

Le 14 novembre 2022, l’Unesco organisait, en partenariat avec l’Union européenne, une journée sur le "trafic illicite des biens culturels". Un trafic qui a atteint des proportions considérables, en particulier dans les zones touchées par des conflits armés ou des catastrophes naturelles et que la pandémie de Covid-19 n’a pas ralenti. Fléau souvent associé aux filières du crime organisé, il affecte toutes les régions du monde. En marge de cette conférence internationale, Sciences et Avenir a rencontré Lazare Eloundou-Assomo, directeur du programme Culture et situations d’urgence de l’Unesco, pour cet entretien publié pour la première fois sur notre site le 12 novembre 2021.

Sciences et Avenir : Ce 14 novembre, l’Unesco organise une Journée internationale de Lutte contre le trafic illicite. Qu’en attendez-vous ?

Lazare Eloundou-Assomo : C’est une journée qui s’inscrit dans la volonté qu’a l’Unesco de collaborer avec ses partenaires essentiels que sont INTERPOL, l’ICOM (International Council of Museum) ou UNIDROIT (Institut international pour l'unification du droit privé) ainsi que les Etats membres, dans la lutte contre le trafic illicite de biens culturels. Cette journée est aussi destinée à sensibiliser l’opinion publique sur les dangers que font courir ces trafics, pour les communautés et les peuples auxquels ils portent atteinte. Elle commémore également la date de la signature de la Convention du 14 novembre 1970 pour la lutte contre le trafic des biens culturels. 

"Diligence requise"

Percevez-vous une amélioration dans la prise de conscience des divers Etats membres sur ces questions ?

La lutte contre le trafic illicite a commencé il y a maintenant cinquante ans… Et bien évidemment, il y a eu des améliorations. De nombreux pays ont ratifié la Convention de 1970 : 141 Etats membres ont signé à ce jour cet outil de coopération international. Et plus le nombre de pays signataires augmente, plus ils sont nombreux à devoir respecter leurs obligations par la mise en place de tous les moyens nécessaires pour empêcher le transfert, l’exportation et l’importation de biens culturels. Comparé au passé, c’est une très grande avancée puisque de nombreux pays ont créé des institutions dédiées. Rappelons cependant qu’Internet n’existait pas lors de la rédaction de cette convention. Depuis, de nouvelles formes de marchés illicites -qui ne passent plus par les circuits classiques- se sont mises en place, utilisant des plates-formes en ligne où ce trafic s’est intensifié, y compris pendant la pandémie de Covid-19. Il est donc devenu plus essentiel que jamais de continuer d’appliquer ce que l’on appelle "la diligence requise", c’est-à-dire la vérification de la provenance des biens acquis.

Pourtant, des institutions de grands renoms ont récemment été prises en défaut… Quel constat en faites-vous ?

En effet, des fautes ou des absences de vigilance ont été reconnues par certains grands musées, après que des acquisitions d’œuvres se sont révélées issues du pillage. C’est le cas par exemple de la Tablette de Gilgamesh, dont l’Unesco a récemment célébré le retour en Irak, après que cet objet s’est retrouvé aux Etats-Unis. Certes, j’ai souligné les avancées dans la lutte contre le trafic, mais elles ne suffisent pas, à l’évidence. La lutte sera totale quand tous les pays auront ratifié la convention de 1970.    

Quels sont les pays qui ne l’ont toujours pas ratifiée ?

Sur 193 Etats membres de l’Unesco, 141 ont ratifié la Convention et sur les 52 qui ne l’ont pas encore fait, 17 se trouvent en Afrique ou sont de petits Etats insulaires. Leur ratification est pourtant fondamentale, parce que le trafic des biens culturels s’adapte très rapidement et recherche constamment de nouvelles routes. Ainsi, pour obtenir des certificats d’importation, certains passent par des pays de transit qui n’ont pas ratifié la convention, ce qui leur permet de "blanchir" les objets pillés en obtenant de faux documents. L’un de nos objectifs est donc de sensibiliser ces pays intermédiaires afin qu’ils créent des institutions de contrôle. Dernièrement, le Mexique -qui a ratifié cette convention- vient de créer une institution, à l’image de celle des carabinieri en Italie ou de l’OCBC (Office central de lutte contre le trafic de biens culturels) en France, pour ne plus voir son patrimoine précolombien exporté et vendu. Nous nous en réjouissons.

"Notre priorité est la protection de tous ces patrimoines millénaires"

Vous dirigez la division Culture et Situations d’urgence de l’Unesco.  Que recouvre cette direction ?

Notre mission est de coordonner au nom de l’Unesco la coopération avec les Etats membres, pour répondre aux situations d’urgence auquel est confronté le patrimoine culturel partout dans le monde. Qu’il s’agisse de conflit armé ou de désastre naturel. Pour cela, nous mettons en œuvre les conventions principales de La Haye (Pays-Bas) de 1954 et celle de 1970. La première fait justement référence aux situations d’urgence en cas de conflit armé propices au trafic illicite, au pillage des sites archéologiques ou des musées que nous devons protéger. Notre rôle est d’aider les Etats à mettre en place des services pour faire face à ces situations, par la formation de douaniers, de policiers, de juges, etc. Sous notre responsabilité figure également, la protection du patrimoine culturel subaquatique, très exposé au pillage, en raison de la prolifération des chasseurs de trésor.

Quels sont les problèmes majeurs auxquels vous êtes confrontés ?

Les situations d’urgence sont très différentes d’un endroit à l’autre, sachant que nous ne sommes ni une force de maintien de la paix, ni une force armée pour aller protéger le patrimoine. Notre rôle est de suivre de près l’évolution des situations, ce que nous faisons au quotidien. Ainsi, concernant les conflits armés, nous sommes actuellement très vigilants concernant le Mali, le Yémen, l’Ethiopie, l’Irak, la Syrie ou encore l’Afghanistan. Nous intervenons également dans la région disputée du Haut-Karabagh, entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Notre priorité est la protection de tous ces patrimoines millénaires et nous sommes en contact avec l’ensemble des parties impliquées pour leur rappeler que le patrimoine ne peut pas être une victime collatérale. 

Concernant la question des restitutions des objets saisis, pourquoi est-ce si complexe de les mettre en œuvre ?

Chaque pays possède une législation propre concernant son patrimoine. Ainsi, ce n’est pas toujours au possesseur de l’objet qu’il revient de prouver qu’il est en droit de le posséder. C’est le cas de la loi française par exemple. Mais dans d’autres pays, comme les Etats-Unis, c’est au possesseur de l’objet de prouver que l’objet lui appartient. De fait, les États-Unis ont signé des accords avec plusieurs pays leur permettant de restituer des œuvres à la Chine, à l’Inde, au Cambodge qui a vu ainsi revenir des statues Khmères du Xe siècle. La plus grande restitution jamais réalisée l’a été avec l’Irak qui a reçu,  en juillet 2021, plus de 17.000 objets d’art qui avaient été pillées dans les années 1990 ! L’un des mandats de l’Unesco est d’ailleurs de tenter d’harmoniser les lois permettant de combattre ce trafic. Une base de données internationale nommée Natlaws a ainsi été mise en place : elle recense pour l’instant plus de 30.000 textes de loi ! La lutte contre le trafic illicite ne pourra réussir que si tous les acteurs impliqués dans le marché de l’art - les communautés, les gouvernements, les professionnels de l’art – coopèrent en toute transparence…

Données Interpol 2020
Grâce aux données fournies par 72 pays, Interpol vient de livrer pour la première fois les résultats d’une enquête menée en 2020 pour évaluer les crimes contre les biens culturels : Au total, 854.742 biens culturels ont été saisis dans le monde au cours de cette même année, qu’il s’agisse de peintures, sculptures, monnaies, objets archéologiques ou documents dérobés dans des bibliothèques. Plus de la moitié ont été saisis en Europe, grâce aux unités de police spécialisées dans ces crimes mis en place par la plupart de ces pays. Une augmentation importante des fouilles archéologiques illégales a été également constatées en Afrique (32%), sur l’ensemble du continent américain (187%), mais surtout, en Asie et dans le Pacifique Sud." 

 

 

 

 

 

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