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Sainte-Sophie transformée en mosquée à Istanbul : pourquoi cela crée des tensions à l'échelle internationale

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a annoncé vendredi l'ouverture de l'ex-basilique Sainte-Sophie à Istanbul aux prières musulmanes après qu'un tribunal a ouvert la voie à sa transformation en mosquée en annulant son statut actuel de musée. Depuis, de nombreux responsables politiques et religieux étrangers ont dénoncé cette décision.

Gaël Vaillant , Mis à jour le
Vendredi, des musulmans priant devant Sainte-Sophie après la décision du Conseil d'Etat turc.
Vendredi, des musulmans priant devant Sainte-Sophie après la décision du Conseil d'Etat turc. © Reuters

Sainte-Sophie perd son statut de musée et devient une mosquée. C'est la fin d'un long processus politique et juridique engagé à l'automne 2013 par le gouvernement islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre. Vendredi, le Conseil d'Etat turc, la plus haute juridiction administrative du pays, a accédé à la requête de plusieurs associations en annulant une décision gouvernementale datant de 1934 conférant à Sainte-Sophie d'Istanbul le statut de musée. Dans la foulée, Erdogan a annoncé l'ouverture de la désormais mosquée aux prières.

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Malgré son statut de musée, les activités liées à l'Islam s'étaient multipliées à l'intérieur de Sainte-Sophie depuis l'arrivée du responsable au pouvoir en 2003, avec notamment des séances de lecture du Coran ou des prières collectives sur le parvis du monument. Erdogan, devenu président de la Turquie en 2014, a toutefois promis que l'édifice resterait ouvert aux visiteurs à l'image des deux autres grandes mosquées d'Istanbul, la Mosquée bleue ou la Mosquée Süleymaniye (dite de Soliman le Magnifique).

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Une mosquée longtemps interdite aux non-croyants. Un petit aparté historique s'impose. Erigée sur les ruines d'un temple grec, la première basilique Sainte-Sophie voit le jour en 330 sous l'impulsion de l'empereur romain Constantin, converti au christianisme. Incendié et partiellement détruit par plusieurs séismes successifs, l'édifice est sans cesse agrandi et embelli pour atteindre sa version actuelle en 1354. Au-delà de son importance dans l'histoire mondiale de l'architecture, Sainte-Sophie acquiert un statut politique : après le schisme entre les églises chrétiennes d'occident et d'orient, elle est devenue le plus important lieu sacré des chrétiens d'orient et le centre de la vie politique de l'empire byzantin.

Quand les Ottomans, musulmans, prennent Constantinople en 1453, ils transforment Sainte-Sophie en mosquée et en font le symbole de leur domination sur toute cette région du Globe. Ce n'est pas un hasard si les Ottomans ont voulu dynamiter le bâtiment après leur défaite lors de la Première Guerre mondiale. En 1934, Mustafa Kemal Atatürk, premier président de la République turque, désaffecte le lieu de culte et en fait un musée pour "l'offrir à l'humanité". Interrogé en 2013 par Le Monde , l'historien Edhem Eldem expliquait que cette transformation incarnait alors "la laïcisation du pays et la promotion de l'universalisme occidental".

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Une transformation qui sert les intérêts d'Erdogan. La décision, voulue par Erdogan, de transformer à nouveau Sainte-Sophie en mosquée n'est donc pas anodine. Elle envoie un signal très fort aux nostalgiques de l'Empire ottoman et surtout aux milieux islamo-nationalistes qui réclament depuis des années la fermeture du musée. Ce qui devrait permettre au président turc de remobiliser sa base électorale dans une période de crise économique profonde. C'est aussi un moyen pour lui de diviser un peu plus l'opposition qui est partagée dans ce dossier. Depuis plusieurs années, Istanbul, capitale économique du pays, est pourtant devenue l'un des bastions des anti-Erdogan. En juin 2019, le président turc y avait subi une défaite historique lors des élections municipales. Mais, en l'espace d'un an, la conversion de Sainte-Sophie en mosquée a miné l'opposition. Au sein des grands partis laïques notamment, où les électeurs restent profondément attachés à la souveraineté de la Turquie. Or, le débat autour de l'édifice religieux a largement dépassé les frontières du pays et de nombreuses puissances étrangères ont tenté de s'immiscer.

Une affaire qui dépasse le seul sort de Sainte-Sophie. Tout au long du week-end, une partie de la communauté internationale a dénoncé la décision de vendredi. Plusieurs pays, notamment la Russie et la Grèce, qui suivent de près le sort du patrimoine byzantin en Turquie, ainsi que les Etats-Unis et la France, ont notamment mis en garde Ankara contre la transformation de Sainte-Sophie. A Rome, le pape François s'est dit dimanche "très affligé", tandis qu'à Moscou, la très puissante Eglise orthodoxe russe a regretté que "l'inquiétude de millions de chrétiens n'ait pas été entendue". Le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Verchinine, a toutefois jugé lundi qu'il s'agissait d'une "affaire intérieure" de la Turquie.

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L'Union européenne, par la voix de son chef de la diplomatie Josep Borrell, la France et la Grèce ont également dénoncé la transformation de Sainte-Sophie qui intervient après de vives tensions entre Ankara et le reste du continent européen . L'UE dénonce en effet des forages gaziers turcs controversés en Méditerranée orientale, tandis que l'intervention turque en Libye, en soutien au gouvernement de Tripoli, suscite des passes d'armes avec la France. La transformation de Sainte-Sophie en mosquée dans ce contexte "s'inscrirait dans le cadre de cette politique étrangère musclée qu'illustre la projection de puissance en Méditerranée orientale et en Libye", résumait vendredi auprès de l'AFP Anthony Skinner, du cabinet de consultants Verisk Maplecroft.

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