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Osman Kavala, le philanthrope turc toujours dans le viseur d'Erdogan

Le président Recep Tayyip Erdogan s'en est pris mercredi 19 février à l'homme d'affaires Osman Kavala, qui a été de nouveau arrêté la veille, juste après son acquittement dans le procès des militants du parc Gezi. Retour sur deux ans d'acharnement judiciaire contre le "milliardaire rouge", mécène de la société civile.

Affiche à l'effigie de l'homme d'affaires Osman Kavala, lors de la conférence de presse de ses avocats, le 31 octobre 2018.
Affiche à l'effigie de l'homme d'affaires Osman Kavala, lors de la conférence de presse de ses avocats, le 31 octobre 2018. © Ozan Kose, AFP
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La libération d’Osman Kavala, mardi 18 février, aura été de courte durée. Pas même le temps de respirer l’air du dehors. Après deux ans d’emprisonnement, le célèbre mécène turc avait été acquitté par trois juges du tribunal de Silivri, près d’Istanbul, des charges de "tentative de renversement du gouvernement" lors des manifestations au parc Gezi en 2013. Mais avant même que sa libération soit effective, le bureau du procureur d’Istanbul a émis un mandat d’arrêt contre Osman Kavala dans le cadre d’une autre enquête, celle liée à la tentative de putsch visant le président Erdogan en 2016. À sa sortie de prison, Osman Kavala était attendu par des enquêteurs qui l’ont emmené au siège de la police antiterroriste à Istanbul dans la soirée pour le placer en garde à vue, selon les informations transmises par l’agence de presse étatique Anadolu. Les procureurs du tribunal d’Istanbul l'ont renvoyé en prison.

Les félicitations et les applaudissements de joie qui avaient jailli dans la salle d’audience de Silivri ont été vite douchés. Les ONG de défense des droits humains comme Amnesty International et plusieurs gouvernements européens avaient déjà émis des communiqués pour saluer cette décision de justice. La précipitation avec laquelle Osman Kavala a été de nouveau placé derrière les barreaux a surpris. Amnesty parle de décision "cynique et cruelle" et appelle à "libérer immédiatement" l’homme d’affaires turc.

"Cette initiative, illégitime et motivée par un désir de vengeance, montre encore une fois que la justice turque est étroitement contrôlée par le pouvoir politique",  a déclaré à l'AFP la représentante en Turquie de Human Righs Watch, Emma Sinclair-Webb. Le commissaire européen aux Droits humains, Dunja Mijatovic, a déploré une procédure "sans crédibilité" qui s’apparente à "des mauvais traitements". Une ancienne magistrate turque ayant exercé à la Cour européenne des droits de l’Homme et aujourd’hui à la retraite, Riza Turmen, estime la situation "insensée" : "il n’y a plus d’État de droit dans ce pays", a-t-elle déclaré au Wall Street Journal.

Le sentiment d’acharnement est alimenté par le lancement d’une enquête à l’encontre des juges qui ont prononcé l’acquittement dans le procès Gezi, pour instruire de possibles failles dans le procès.

Ennemi personnel d’Erdogan

Âgé de 63 ans, Osman Kavala est un philanthrope bien connu des cercles intellectuels en Turquie, mais aussi en Europe. Il est avant tout un homme d’affaires, né en France en 1957 et héritier par son père d’une des entreprises les plus florissantes de Turquie. Pendant ses études à Manchester, en Grande-Bretagne, il manifeste contre la politique de Margaret Thatcher, selon un long portrait rédigé par Ariane Bonzon sur le site Slate. Rentré à Istanbul, Osman Kavala se fait connaître comme le "milliardaire rouge", celui qui soutient financièrement la société civile, par le biais de la Fondation Anadolu Kultur, qui promeut un dialogue avec les Kurdes et les Arméniens. Il prône la reconnaissance du génocide arménien, et cherche à organiser un concert de Charles Aznavour en Turquie – mais n'y parvient pas. Il est également à l’origine de la maison d’édition Iletisim, qui met en avant des textes sur la démocratie en Turquie. Osman Kavala ne quitte pas le monde de l’entreprise pour autant et siège au comité de direction de Tüsiad, réunion de grands patrons turcs.

Son action philanthrope a été connue du grand public lors de son arrestation en novembre 2017, relève Jasper Mortimer, correspondant de France 24 à Ankara. Parmi tous les accusés dans le procès des militants du parc Gezi, Osman Kavala a fait figure d’ennemi personnel du régime. Recep Tayyip Erdogan l’a attaqué plusieurs fois nommément, l’accusant de "financer des terroristes" et d’être "le représentant en Turquie" du milliardaire américain George Soros, autre philanthrope au mécénat international. Mercredi 19 février, au lendemain de l’acquittement puis de la nouvelle garde à vue du milliardaire turc, le président Erdogan a évoqué l’affaire en désignant indirectement Osman Kavala : "Des individus comme Soros s'activent en coulisses pour semer le désordre en provoquant des révoltes dans certains pays. Leur bras en Turquie était emprisonné, mais ils ont osé l'acquitter hier (mardi) en ayant recours à des manœuvres", a déclaré le président turc. "Que notre nation soit rassurée : nous allons suivre cette affaire de près", a-t-il ajouté.

En décembre, la Cour européenne des droits de l'Homme avait réclamé sa libération immédiate, soulignant l'absence de "faits, informations et preuves" dans l'acte d'accusation. Elle avait disculpé Osman Kavala de toute implication dans la tentative de coup d’État de 2016, qui a mené à son arrestation et à celle de quelque 80 000 autres personnes. Cette purge a concerné autant les corps militaires que l'enseignement supérieur, les journalistes que le milieu de l’édition. D’autres arrestations ont visé environ 700 personnes au cours de la semaine passée, pour leur lien supposé avec Fethullah Gülen, exilé aux États-Unis.

>> Notre webdoc : "Turquie, la grande purge"

>> Notre entretien exclusif : "Gülen a rencontré un homme lié au coup d’État, mais rejette les accusations d'Erdogan"

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