Haut-Karabakh : un accord de «cessez-le-feu total» entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan

L’accord prévoit que l’Azerbaïdjan pourra conserver tous ses gains territoriaux. À Erevan, plusieurs milliers de personnes en colère ont envahi le Parlement et le siège du gouvernement.

 Les Arméniens ont réagi avec colère à l’annonce du cessez-le-feu signe leur défaite dans l’enclave indépendantiste du Haut-Karabakh.
Les Arméniens ont réagi avec colère à l’annonce du cessez-le-feu signe leur défaite dans l’enclave indépendantiste du Haut-Karabakh. AFP/Karen Minasyan

    Un accord de cessez-le-feu a-t-il été négocié en grand secret ce lundi soir par les dirigeants arméniens pour mettre fin à la guerre au Haut-Karabakh qui fait rage depuis le 27 septembre? C'est ce que laissait entendre une déclaration du Premier ministre arménien Nikol Pashinyan sur son compte Facebook officiel jusqu'à ce que Vladimir Poutine ne confirme l'information.

    Vers 2 heures du matin (23 heures en France), le dirigeant arménien a annoncé avoir signé un accord « incroyablement douloureux » pour mettre fin aux combats au Haut-Karabakh avec l'Azerbaïdjan.

    « Le 9 novembre, le président de l'Azerbaïdjan (Ilham Aliev), le Premier ministre de l'Arménie (Nikol) Pachinian et le président de la fédération de Russie ont signé une déclaration annonçant un cessez-le-feu total et la fin de toutes les actions militaires dans la zone du conflit du Nagorny Karabakh à partir de minuit le 10 novembre heure de Moscou », a exprimé Vladimir Poutine, selon une déclaration diffusée dans la nuit de lundi à mardi aux médias.

    « Nous ne nous considérerons jamais comme vaincus »

    « J'ai pris cette décision à la suite d'une analyse approfondie de la situation militaire et de l'appréciation des personnes qui ont le mieux en main la situation », assure dans sa déclaration le Premier ministre arménien. « Ce n'est pas une victoire, mais il n'y a pas de défaite tant que vous ne vous considérez pas vaincu. Nous ne nous considérerons jamais comme vaincus et ceci deviendra le nouveau départ d'une ère d'unité et de renaissance nationale », veut-il croire.

    Un revirement de position étrange de la part du dirigeant arménien, jusqu'ici très ferme sur ses positions.

    L'annonce survient à peine quelques heures après que l'Azerbaïdjan a abattu un hélicoptère russe, dans une région éloignée du front en Arménie. Deux membres d'équipage sont décédés. Ce ciblage était plutôt susceptible d'entraîner un peu plus Moscou dans le conflit opposant l'Arménie et l'Azerbaïdjan au Haut-Karabakh, la Russie étant liée à l'Arménie par un traité militaire. La Turquie, l'autre puissance régionale, soutient, elle, l'offensive de l'Azerbaïdjan et a été accusée d'envoyer des mercenaires pro-turcs de Syrie se battre en soutien à Bakou.

    Le territoire est internationalement reconnu comme faisant partie de l'Azerbaïdjan, mais il est peuplé et, jusqu'à récemment, entièrement contrôlé par des Arméniens de souche. Les six semaines de combats acharnés ont tué des milliers de personnes, et déplacé des milliers d'autres, menaçant l'équilibre de la région.

    Cessez-le feu partir de 13 heures (heure locale)

    Cette décision d'un cessez-le-feu à partir de mardi 13 heures (10 heures à Paris) selon le Premier ministre arménien (Moscou parle bien de minuit de son côté) a été approuvée Arayik Harutyunia, le président de la République de l'Artsakh, où se déroule l'essentiel des combats avec les forces azerbaïdjanaises. Il a confirmé l'information via lui aussi son compte Facebook.

    Selon l'accord, l'Azerbaïdjan pourra conserver tous ses gains territoriaux, y compris la deuxième ville de l'enclave, la stratégique Choucha, et les forces arméniennes ethniques devront céder le contrôle d'une série d'autres territoires d'ici le 1er décembre.

    Quelque 2 000 militaires russes sont déjà en route ; ils doivent, dans le cadre d'une force de maintien de la paix, se déployer sur la ligne de front dans le Haut-Karabakh et dans un corridor entre la région et l'Arménie. Ils pourraient rester cinq ans. Selon le président d'Azerbaïdjan, la Turquie devrait aussi être impliquée dans les efforts de paix. Selon Vladimir Poutine, les prisonniers et les dépouilles des combattants seront échangés entre les deux ex-belligérants. Les déplacés, a-t-il assuré, peuvent dès maintenant retourner au Nagorno-Karabakh.

    Avant même de connaître les détails de l'accord, l'annonce du cessez-le-feu s'est répandue comme une traînée de poudre dans la capitale arménienne. Tandis qu'à Bakou on se réunit dans la joie, c'est l'incompréhension et la colère qui dominent à Erevan.

    Une foule en colère envahit le siège du gouvernement et le Parlement

    Des groupes d'hommes en colère martèlent le pavé. « Nos soldats sont donc morts pour rien ! », crient-ils. Bientôt ils sont des centaines devant le siège du gouvernement, place de la République. « Pachinian démission ! », « Nikol, traître ! », scandent-ils. Ils parviennent à forcer l'entrée, les policiers, trop peu nombreux, gardent leurs distances, des vitres sont brisées, un bureau saccagé. Ils avancent dans les immenses locaux, sont parfois bloqués par un policier ou des soldats. Si la tension est vive, les occupants sont partagés. « N'abîmez rien, cet immeuble appartient au peuple », intervient un modéré. Pendant deux heures ils occupent les lieux sans trop savoir comment agir, illustrant le désarroi dans lequel les plonge la défaite.

    À plus d'un kilomètre de là, au Parlement, c'est la violence qui domine. Le président est tabassé et blessé, des bureaux semblent visités par une tornade, des visages louches se baladent dans les couloirs. Des bagarres éclatent à la tribune, une députée d'opposition s'épuise à essayer de prendre la parole sous les huées. La moindre tentative de calmer la foule se solde par des invectives et des jets de bouteille. « Faites venir Pachinian, qu'il nous explique pourquoi sont morts nos enfants ! », « il faut déchirer l'accord de cessez-le-feu », « nos généraux doivent prendre le pouvoir », « Poutine viens nous aider ! »…

    L'émeute n'a pour l'instant pas tourné à la révolution, contrairement à 2018 où une révolte populaire contre les caciques de l'ancien régime issu de l'époque soviétique avait mené Pachinian au pouvoir.