Chouchi, forteresse disputée : épisode • 4/4 du podcast Villes divisées

Le 22 novembre 2020, des soldats de la paix russes montent la garde à l'extérieur de la ville de Choucha, les combats avaient repris dans la région contestée du Haut-Karabakh.  ©Getty - Stanislav Krasilnikov
Le 22 novembre 2020, des soldats de la paix russes montent la garde à l'extérieur de la ville de Choucha, les combats avaient repris dans la région contestée du Haut-Karabakh. ©Getty - Stanislav Krasilnikov
Le 22 novembre 2020, des soldats de la paix russes montent la garde à l'extérieur de la ville de Choucha, les combats avaient repris dans la région contestée du Haut-Karabakh. ©Getty - Stanislav Krasilnikov
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Chouchi, ou Choucha, est disputée par l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Elle a une importance symbolique au niveau culturel comme religieux pour les deux pays. Depuis sept mois elle a été reprise par l’Azerbaïdjan. Comment les deux camps utilisent-ils l’histoire pour démontrer leur droit à cette ville ?

Avec
  • Taline Ter Minassian Professeure d’histoire contemporaine de la Russie et du Caucase à l’Inalco, directrice de l’Observatoire des Etats post-soviétiques
  • Taline Papazian Politiste et chargée de cours à l’université Aix-Marseille
  • Claire Mouradian Historienne, directrice de recherche émérite au CNRS

En novembre 2020, l'Azerbaïdjan annonce la prise de la ville de Chouchi. L’annonce a donné lieu à des scènes de liesse à Bakou, tandis qu’à Erevan, l’incrédulité a rapidement laissé place à la colère. Pour les deux peuples, la ville de Chouchi/Choucha revêt une grande importance symbolique. Azéris comme Arméniens y associent un XIXe siècle foisonnant sur le plan intellectuel et artistique. Les premiers y voient le berceau de leur identité culturelle, et notamment musicale, tandis que les seconds se souviennent de ses bibliothèques, de ses écoles et des nombreux journaux qui y naquirent. Les deux peuples y conservent également un important patrimoine religieux, qui survit malgré les stigmates des guerres et des reconstructions successives. 

Pendant la première guerre du Haut-Karabakh et au tournant des années 1990, la prise de Chouchi a constitué une bascule au profit des Arméniens. Les Azéris, alors légèrement majoritaires dans la ville, en avaient été chassés. Près de 30 ans plus tard, c’est aux Arméniens de fuir la ville, à l’issue de la victoire azerbaïdjanaise de novembre dernier. Tandis que l’histoire se répète, le temps de la concorde et de l’effervescence culturelle semble un très lointain souvenir.

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Sept mois après la reprise de Choucha par l’Azerbaïdjan, quelle est la situation de la ville, entre déplacement de population, tentative de reconstruction et présence des forces d’interposition russes ? Comment le président azerbaïdjanais Ilham Aliev s'appuie-t-il sur ce joyau patrimonial pour asseoir sa popularité et promouvoir son pays ? A l’inverse, que coûte la perte de Chouchi au Premier ministre arménien Nikol Pachinian ? Comment les deux camps utilisent-ils l’histoire pour tenter de démontrer leur droit à cette ville ?

Nos invitées sont Taline Ter Minassian, historienne, professeure des universités à l’Institut national des langues et civilisations orientales et Taline Papazian, politiste et chargée de cours à l’université Aix-Marseille.

Texte d'introduction du film « Cessez le feu » de Liliane de Kermadec, tourné à Chouchi : 

Devant cette falaise, cette faille, j’ai un coup au cœur. En haut, accrochée au rocher, la ville de Chouchi… imprenable. De là , s’élance Khatchig le colporteur. Sur le toit de sa vieille caisse, il apporte les petites douceurs de la ville. Il dévale les vallées et grimpe les côtes une chanson sur les lèvres Ghatchik est amoureux, il est triste. Anoush sa fiancée a 20 ans, le même âge que le cessez le feu. Elle n’a pas connu la paix et a peur de la guerre. Elle veut s’en aller. 

Pour des raisons sanitaires, le Festival Transcaucases 20/21 de l'INALCO à été reporté, retrouvez toutes les informations sur le site et sur le dossier.

Chouchi est restée très longtemps en ruines suite à la première guerre. C’est à partir du milieu des années 2000 que la ville a été restaurée, notamment la cathédrale, qui est de nouveau détruite aujourd’hui. Il y a eu un regain d’activité culturelle avec des écoles, l'ouverture de bibliothèques municipales et des musées. Néanmoins, les travaux de restaurations actuels laissent penser que la finalité est d’effacer l’héritage arménien. Taline Papazian

L’Azerbaïdjan actuel n’est plus l’Azerbaïdjan post-soviétique, en difficulté économiquement. Désormais, le président Aliyev a les moyens de relancer la ville, mais je doute de sa capacité à repeupler Chouchi de manière volontariste. La ville était déjà en déperdition démographique à l’époque soviétique et ne comptait que 10 000 habitants fin 1979. A la fin de l’Union soviétique, la ville de Chouchi était à majorité azérie. Le ratio démographique s’est totalement inversé entre le début et la fin du XXe siècle. Taline Ter Minassian

Une femme prie dans la cathédrale du Saint-Sauveur (Ghazanchetsots) endommagée par une attaque à la roquette des forces armées azerbaïdjanaises, le 18 octobre 2020.
Une femme prie dans la cathédrale du Saint-Sauveur (Ghazanchetsots) endommagée par une attaque à la roquette des forces armées azerbaïdjanaises, le 18 octobre 2020.
© Getty - Sergei Bobylev
Les Enjeux internationaux
11 min

Seconde partie - Le focus du jour 

Le massacre de Chouchi, une péripétie tragique dans une longue histoire 

En mars 1920 a lieu le massacre de Chouchi : la ville est incendiée et environ 20 000 Arméniens sont tués. A l’époque, la ville était le centre administratif et culturel d’Artsakh. Mais cette destruction est à mettre en perspective à une plus grande échelle. Les relations internationales entre Soviétiques et Britanniques sont en jeu dans ce massacre, qui donne à voir les prémices d’un scénario voué à se répéter en 1988. La ville a-t-elle réussi à se remettre de ce massacre ?

Entretien avec Claire Mouradian, spécialiste du Caucase, directeur de recherche au CNRS et responsable de l'équipe Caucase au CERCEC (Centre d'Etude des Mondes Russe, Caucasien et Centre-Européen).

Les forces britanniques sont présentes militairement dans la région depuis 1917 et favorisent le gouvernement azerbaïdjanais pour ménager leur intérêt dans leurs colonies musulmanes. Le gouverneur Soltanov est donc imposé suite à toute une série de rapports de forces alors que cet homme s’est déjà manifesté pour des violences à l’encontre des Arméniens avant 1920, au Karabakh ou ailleurs. Claire Mouradian

51 min

Une émission préparée par Margaux Leridon et Albane Barrau. 

Références sonores

  • Début novembre dernier, un soldat arménien réfutait l’idée que Chouchi avait été prise par les Azeris (France 24, 09 novembre 2020)
  • Annonce de la prise de Choucha par Ilham Aliyev en novembre dernier (Euronews, 08 novembre 2020)
  • Témoignage de Rugza Bayramova, Azéri de retour à Choucha en novembre dernier après avoir été contraint à l’exil en 1992 (France 24, 15 novembre 2020)
  • Un manifestant arménien considérait en novembre dernier que Nikol Pachninian et son gouvernement avait menti au peuple arménien dans la conduite de la guerre contre l’Azerbaïdjan + Gegham Manukyan, du parti de la Fédération Révolutionnaire Arménienne, qui appelle au départ de Nikol Pachinian (Euronews, 17 novembre 2020)
  • Ilham Aliev ouvre le festival de musique Kharybulbul à Choucha le 12 mai dernier (AZTV, 12 mai 2021)
  • Extrait d’un reportage de Dominique Derda concernant la prise de Choucha par les Arméniens en mars 1992 (Archive INA, Antenne 2, 08 mars 1992)
  • Extrait du documentaire Le murmure des ruines de Liliane de Kermadec sur Chouchi (2013)

Références musicales 

  • « Field » de Christian Löffler (Lable : Ki record)
  • « Karabagh » de Grigori Sarkayan. Chant capté en 1994 par le collectif « Des Femmes et des Hommes » (Label : Silex)

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