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Haut Karabakh : après le cessez-le-feu, les Arméniens en colère contre leur gouvernement
Manifestation à Erevan

Haut Karabakh : après le cessez-le-feu, les Arméniens en colère contre leur gouvernement

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Après la signature du cessez-le-feu total, les Arméniens restent sidérés par les dispositions de l'accord. Et furieux à l'encontre de Nikol Pachinian, le premier ministre signataire du texte controversé.

« Nikol Traître ! », « Nikol démission!» scande la foule rassemblée mercredi 11 novembre, place de la Liberté à Erevan. Quelques bérets rouges volent au-dessus de l'assemblée pendant que leurs propriétaires, des forces de l’ordre, en uniforme camo bleu, tentent, en vain, de faire respecter la loi martiale qui interdit tout rassemblement public.

À l’appel de 17 partis d’opposition, quelques milliers d’Arméniens sont venus réclamer la démission du premier ministre, Nikol Pachinian, et dénoncer l’accord de cessez-le-feu qu’il a signé dans la nuit de lundi à mardi. « Il vend notre pays. C’est un traître pour nous ! » assène froidement Zabelle. La sexagénaire, qui habite en périphérie de la capitale, a fait le déplacement à Erevan pour venir exprimer sa colère. Une autre protestataire ajoute : « Il a réalisé le rêve de la Turquie. Qui va payer pour le corridor entre l’Azerbaïdjan et le Nakhitchevan ? Erevan ? Il cherchait des traîtres ? Mais, c’est lui, le traître ! ».

Une victoire pour Bakou et Ankara

L’accord prévoit la création d’un corridor reliant la République autonome de Nakhitchevan, frontalière de la Turquie, à sa « mère patrie » l’Azerbaïdjan. Sous le contrôle des forces russes, les marchandises et les citoyens d’Azerbaïdjan pourront emprunter comme ils le souhaitent cette route en terre arménienne. Une victoire pour Bakou et Ankara car, désormais, les deux États seront géographiquement reliés.

Pour Daron, un manifestant dont le frère aîné est soldat au Haut-Karabakh, chaque ligne de l’accord est inacceptable : « On ne peut pas donner nos territoires alors que ça fait bientôt deux mois que les Arméniens se battent et meurent pour défendre leurs terres. On veut la paix mais pas dans ces conditions, pas en ignorant le sang versé par nos frères pour ces terres ». Contrairement à de nombreux manifestants, ce jeune vendeur de vêtements n’est pas un anti-Pachinian de la première heure mais il réclame aujourd’hui la démission du chef de gouvernement : « Il a pris cette décision seul, il n’en a parlé à personne. C’est inacceptable ». Et, Zabelle de rappeler, lorsqu'il était candidat en 2018 : « Pachinian nous avait promis que, quoi qu’il décide en tant que premier ministre, il consulterait le peuple. Mais il a signé ce texte tout seul ».

"Pourquoi on s’est battu si longtemps pour rien ?"

Quelque 3 000 personnes sont venues exprimer leur colère. La révolution espérée par l’opposition ne s’est pas produite. Encore surpris par l’annonce du cessez-le-feu, Grigor Panosyan, un jeune architecte, ne s’est pas joint pas à la manifestation : « Je n’avais pas fumé depuis un mois et j’ai repris la cigarette à ce moment-là. Mes mains tremblaient d’émotion. Je m’attendais à la victoire. Je n’étais pas préparé à ça, c’est pourquoi j’ai été autant choqué. On a signé le pire contrat possible. On leur a donné 77 % du Haut-Karabakh et Chouchi. Je crois que c’est cette partie de l’accord qui me choque le plus ».

Durant 44 jours de guerre, Erevan a promis une issue glorieuse à son peuple. Nikol Pachinian a multiplié les discours martiaux encourageant les Arméniens à se mobiliser pour soutenir la guerre. Chaque soir, six semaines durant, devant les caméras nationales et internationales, le représentant du ministère de la défense a minoré le recul des forces arméniennes. Aujourd’hui, même les partisans de Nikol Pachinian n’ont plus confiance dans leur gouvernement. Mane Manyengibayan qui avait voté pour le candidat Pachinian en 2018, questionne : « Pourquoi on s’est battu si longtemps pour rien ? Si la situation était tellement mauvaise, pourquoi ne pas avoir négocié un bon accord plus tôt ? Je ne crois plus notre gouvernement. Aujourd’hui, non seulement, on a perdu beaucoup de territoires mais aussi de nombreuses vies humaines. C’est honteux ». Si la webdesigner et ses amis ne souhaitent pas la démission du premier ministre, Grigor constate, maussade : « Je pense qu’il n’y a pas d’autre choix que la démission de Nikol Pachinian. Celui qui a signé ce contrat ne peut survivre en Arménie ».

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne