Naufrage dans la Manche : le terrible récit de deux survivants

Le 24 novembre, une embarcation a chaviré entre la France et l’Angleterre, causant la mort de 27 migrants. Deux survivants racontent leur nuit entre la vie et la mort.

Par Laure Van Ruymbeke, au Royaume-Uni.

La plage de Wimereux, près de Calais, dans le nord de la France, de laquelle beaucoup de migrants partent pour essayer de rejoindre le Royaume-Uni. Le 24 novembre 2021, 27 migrants sont morts lorsque leur petit bateau a coulé. 
La plage de Wimereux, près de Calais, dans le nord de la France, de laquelle beaucoup de migrants partent pour essayer de rejoindre le Royaume-Uni. Le 24 novembre 2021, 27 migrants sont morts lorsque leur petit bateau a coulé.  © VALERIA MONGELLI / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Temps de lecture : 4 min

Il faisait nuit noire, mardi 23 novembre, lorsque les migrants ont embarqué au large de Dunkerque. « Il était 19 ou 20 heures, je ne me souviens plus. Nous étions 33 lorsqu’ils ont commencé à nous compter. Ils nous ont dit “Ceux qui ne veulent pas y aller, descendez”. Mais tout le monde a dit “on y va”. » Mohammed Shekha Ahmad, Kurde iranien de 21 ans, a survécu au naufrage qui a tué 27 personnes mercredi 24 novembre. Menacé par les passeurs depuis une semaine, il a accordé un entretien à la télévision kurde Rudaw dans un endroit tenu secret. Face à la caméra, il déroule son récit, les yeux baissés, la voix faible. « Au début, l’eau a commencé à couler dans le bateau à l’arrière, près du moteur. On enlevait l’eau. On a vu un bateau, on s’est dit qu’on irait vers lui, mais d’autres ont dit non. Notre bateau doit atteindre le Royaume-Uni ce soir. » Au fil de la nuit, les bateaux autour d’eux disparaissent. Ils sont seuls et leur embarcation pneumatique se dégonfle. « Il y avait une pompe à bord. Certaines personnes ont commencé à le regonfler tandis que d’autres vidaient l’eau. »

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« Les vagues ont commencé à nous pousser vers la France, et tout le monde est tombé dans l’eau »

D’après lui, deux personnes ont utilisé leur téléphone pour appeler la police des deux côtés de la Manche. « On a envoyé notre position à la police française et ils ont dit “vous êtes dans les eaux britanniques”. On a appelé la police anglaise, mais ils nous ont dit d’appeler la police française. » Des accusations réfutées par le ministère de l’Intérieur britannique : « Les Français ont mené une opération de sauvetage pour un incident survenu dans les eaux territoriales françaises. Ils ont demandé le soutien du Royaume-Uni, qui a été fourni par les garde-côtes dès qu’il a été demandé. » Le porte-parole de l’agence gouvernementale des garde-côtes explique quant à lui que ce jour-là, un hélicoptère a été dépêché et un bateau de la RNLI, une association de secouristes, s’est rendue sur place pour participer aux recherches. Il poursuit : « Nous n’entrons pas dans les eaux françaises sauf si on nous le demande. C’est ce qu’il s’est passé la semaine dernière. »

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Privés de leur téléphone, tombés dans l’eau ou à court de batterie, les occupants du bateau sont livrés à eux-mêmes. « Les vagues ont commencé à nous pousser vers la France, et tout le monde est tombé dans l’eau, poursuit le jeune Kurde iranien. On s’est tenu la main pour ne pas se noyer. Celui qui me tenait la main me disait “s’il te plaît, on ne se quitte pas”… Puis il a fini par lâcher ma main, […] puis je ne l’ai plus revu. Je ne me souviens pas de son nom, mais il avait le même âge que moi. Je l’ai reconnu quand la police m’a montré sa photo. » Sur le bateau, il y avait des familles, des femmes – dont une, Maryam, Kurde irakienne de 24 ans, officiellement identifiée, rejoignait son fiancé au Royaume-Uni –, deux Égyptiens, des Kurdes iraniens et irakiens, des Éthiopiens, des Somaliens, un Vietnamien. « Au petit matin, alors que le soleil se levait, ils n’en pouvaient plus. Ils ont tous abandonné leur vie. »

« C’est comme si nous renaissions et que notre cerveau ne fonctionnait pas encore très bien »

Un autre survivant du naufrage, Mohamed Isa Omar, Somalien de 28 ans, a livré son témoignage à la BBC et au même média kurde Rudaw. En fauteuil roulant dans un parking français, il porte un masque, une capuche et des chaussons. Les bandages sur ses jambes témoignent de ses douze heures passées dans la Manche avant d’être secouru par des Français. « L’eau était si froide, si froide. » Il ne connaissait personne. Selon lui, le bateau a coulé dans les eaux britanniques. « Certains d’entre nous ne savaient pas nager », précise-t-il. Ils ont appelé la police anglaise plusieurs fois mais n’ont pas eu le temps de leur envoyer leur localisation. Des heures plus tard, vers 13 heures, un pêcheur français repère des corps sans vie dans la Manche.

Les deux survivants sont ensuite conduits à l’hôpital et interrogés par la police. On leur annonce qu’ils sont les seuls rescapés. Et maintenant ? « Je ne sais pas où aller. C’est comme si nous renaissions et que notre cerveau ne fonctionnait pas encore très bien. Je ne peux pas me lever, je ne pense pas être capable de reprendre un tel risque », conclut Mohammed Isa Omar. Son compagnon d’infortune, Mohamed Shekha, a conservé toute sa détermination : il dit vouloir toujours aller en Angleterre pour trouver les 60 000 dollars qu’il faut pour soigner sa sœur, restée à Qaladze, au Kurdistan irakien.

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Commentaires (21)

  • haricaut

    Le mardi 26 décembre ?

  • RT 49

    C'est difficile de trouver un équilibre entre solidarité internationale et protection nationale. Mais il va falloir trouver un modus vivendi global rapidement si l'on considère le nombre de migrants climatiques que l'avenir nous réserve.
    Aujourd'hui l'Europe (en fait la France) est sensée faire obstacle aux migrants qui ne veulent de toute façon aller qu'en Angleterre. Doit-on les laisser passer en sécurité sur un ferry en considérant que ce n'est pas notre problème mais celui des anglais ? C'est apparemment ce qui disent les accord signé par Sarkozy il y a une vingtaine d'années et ils méritent peut-être une révision maintenant que l'Angleterre n'est plus dans l'UE.

  • walch

    Autant les laisser prendre le ferry, ça leur coûtera 20€, et en toute sécurité