Voilà que la coupole de l’église apostolique arménienne de la Sainte-Trinité, effondrée depuis des décennies, s’élève à nouveau. Sous des voûtes de pierres claires sentant sans doute encore le neuf, environ 150 fidèles ont participé, dimanche 29 août, à Malatya (est de la Turquie), à la première messe depuis la toute récente restauration de cet édifice datant du XVIIIe siècle. Il n’avait abrité aucun office religieux depuis 106 ans.

L’ancienne Mélitène, réputée aujourd’hui pour ses abricots, fut un important carrefour de la déportation des Arméniens d’Anatolie, lors du génocide de 1915. Son maire de l’époque, Mustafa Aga Azizoglu, a d’ailleurs été reconnu comme Juste après s’être opposé à l’extermination programmée par le gouvernement Jeune-Turc. Il fut tué par son propre fils en 1921 : celui-ci n’avait pas supporté que son père porte secours aux « mécréants ».

Un archevêque prudent

Un siècle plus tard, que reste-t-il des Arméniens de Malatya ? Une poignée de « restes de l’épée », comme on appelle les descendants des 200 000 Arméniens qui furent islamisés à l’époque. Depuis moins d’un demi-siècle, le silence qui entourait leur arménité a commencé à se lever, et certains d’entre eux retrouvent discrètement le chemin des églises. Mais dans celle de la Sainte-Trinité, dimanche 29 août, les Arméniens n’étaient pas seuls : des syriaques avaient aussi été conviés.

→ ARCHIVE. Sur les traces des Arméniens disparus

Cette messe se voulait en effet un symbole fort pour les communautés chrétiennes d’Anatolie, décimées par des décennies de guerres et de persécutions. « C’est un message très important en termes de paix, d’unité et de fraternité pour ce pays », a abondé le patriarche arménien de Constantinople Mgr Sahak Masalyan, venu d’Istanbul pour présider la cérémonie. Une parole « très docile et prudente », selon certains observateurs qui reconnaissent là, plus largement, l’attitude des Arméniens de Turquie.

Alors que de nombreux lieux de culte chrétiens ont été détruits ou transformés en mosquées au cours du dernier siècle dans le pays, et que les mises en vente et expropriations se poursuivent encore aujourd’hui, comment comprendre la restauration de cette église arménienne de Malatya ? Si celle-ci a été initiée par une association arménienne, Hayder, elle a bénéficié du soutien des autorités turques locales.

Une opération qui « tient de la communication »

Le journaliste Tigrane Yégavian, auteur de Minorités d’Orient. Les oubliés de l’Histoire (1), évoque une « logique politicienne » du gouvernement turc. « D’un côté, on s’efforce d’effacer les traces de la présence chrétienne, et de l’autre on restaure à grands frais quelques églises, dans une opération qui tient surtout de la communication », explique ce spécialiste de l’Arménie.

À Diyarbakir, la capitale du Kurdistan turc, l’église arménienne de Sourp Giragos (saint Cyriaque), réputée avoir été l’une des plus grandes du Moyen-Orient, a ainsi été restaurée et ouverte au public en 2011.

C’était aussi le cas, quatre ans plus tôt, de l’église de la Sainte-Croix de l’île d’Akhtamar, sur le lac de Van. Mais l’inauguration de 2007 avait été boycottée par plusieurs personnalités arméniennes dont le catholicos Karékin II : une fois restaurée, l’église devenait en effet un musée, ne pouvant à ce titre accueillir la messe qu’une fois par an. En dehors de cette journée, prier y est interdit.

Même scénario à Malatya ? Il semblerait, puisque l’église est désormais officiellement un centre culturel, le « Centre culturel d’art et de culture Tashhoran ». Les communautés arméniennes locales pourront l’utiliser pour des cérémonies religieuses (baptêmes, mariages, etc.), mais uniquement sur demande.

(1) Éd. Le Rocher, 2019, 228 p., 14,90 €